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Interview exclusif du GRF Haim Korsia pour Israel Actualités « Haïm Korsia, Grand Rabbin de France : « Nous devrons être solidaires pour affronter ce qui nous attend »


haim KorsiaHaïm Korsia, Grand Rabbin de France : « Nous devrons être solidaires pour affronter ce qui nous attend »

Entretien exclusif et empreint de vérité du Grand Rabbin de France Haïm Korsia dans ce numéro d’Israël Actualités ! Nous revenons en édition papier avec une interview qui nous paraissait incontournable après le tsunami que vient de vivre le monde entier, la France, mais aussi et ce à plus d’un titre, la communauté juive. La pandémie est loin d’être endiguée, mais, alors que, dans de nombreux pays, on dessert l’étau du confinement, la reprise des activités sociales, scolaires, économiques, communautaires pose de multiples questions. A fortiori lorsque les morts se comptent par milliers et que les responsables, politiques, institutionnels, religieux semblent aussi perdus ou désemparés que nous le sommes. Sur tous ces sujets, il nous semblait primordial d’entendre la voix de Haïm Korsia, Grand Rabbin de France. Au cours des dernières semaines, nous nous sommes, à plusieurs reprises, fait l’écho de sa discrétion, voire de sa transparence, alors que les juifs de France avaient désespérément besoin de guides. Sur ces reproches, fréquemment formulés par nos lecteurs, comme sur l’ensemble des sujets concernant la crise sanitaire, Haïm Korsia a accepté de répondre à nos questions, même les plus virulentes. Sans langue de bois et avec humilité. « Je comprends, j’accepte, c’est la vie et je répondrai bien volontiers », a-t-il simplement indiqué. Haïm Korsia à l’heure du bilan…

 

Il y a, à ce jour, plus de 21 000 morts en France. Que pensez-vous de la gestion de la crise sanitaire par le Président de la République Emmanuel Macron et le Premier ministre Édouard Philippe, vous qui avez des contacts directs avec nos gouvernants ?

Ce n’était pas prévisible : l’OMS, fin Décembre, déclarait que ce qui se passait en Chine n’était pas une pandémie mais une épidémie locale. Lorsque la présence du virus a été identifiée sur notre territoire, et que les malades se sont multipliés, le gouvernement a dû choisir entre préserver l’économie ou protéger les gens… Le gouvernement a décidé de mettre à l’arrêt l’économie et a choisi le confinement. Face à ce genre de crise aiguë, tout choix s’avère délicat. Que vous ayez tort ou raison, il y aura toujours des détracteurs pour dire qu’il aurait fallu faire ci ou ça. Le rétro-pédalage devient donc impossible. Sur la gestion des masques, par exemple, il y a une vraie interrogation, et elles sont d’ordre politique. Sur le thème de la protection, je crois pouvoir dire que, dans les lieux de culte, nous avons toujours devancé les alertes : en imposant les gestes barrières, lors du shabbat qui précédait Pourim. Par la suite, nous avons fermé lieux de culte, mikvaot. Aurait-on pu, dû faire plus ou mieux ? Idem pour le gouvernement ? A mon avis la question revient à juger l’importance des décisions à court terme, par rapport au temps long. Le long terme est toujours la meilleure option, mais sur le moment, ce n’est pas toujours évident. Sur le thème des masques, leur utilité dans l’espace public, la pénurie, les approvisionnements, il y aura effectivement des réponses nécessaires. Parallèlement, le point positif c’est que notre système de santé a tenu bon. Il y a eu une vraie et belle solidarité, entre les régions et même avec certains pays européens frontaliers. Ce que je voudrais dire, c’est que ma tâche, en tant que grand rabbin, n’est pas tant de commenter la politique que de faire entendre ma voix, mon opinion, lorsque je constate une incohérence. C’est d’ailleurs arrivé par deux fois. Et à chaque fois, je suis intervenu. Dans le Figaro, le 8 avril dernier, je me suis exprimé sur le fait qu’on ne pouvait pas, sous prétexte de protéger nos aînés, les enfermer sans lien aucun avec leurs proches, parce que ce lien était vital pour eux. On a vu le gouvernement évoluer sur ce sujet. De même, j’ai dit publiquement qu’il était inacceptable que les familles ne puissent être présentes lors qu’un de leurs membres était en fin de vie. Le Président a abondé dans ce sens lors de son dernier discours. Je ne me mêle pas de la politique, mais je tiens à participer au débat lorsque le sujet revêt une dimension qui rejoint celle du spirituel ou de l’éthique. A chaque fois que j’ai soulevé un point important, j’ai été entendu, ce qui veut dire que rien n’est figé. Pour autant, il y aura, après la crise, une nécessaire réflexion sur la gestion. Pour savoir si l’on aurait pu mieux faire, si identifier les dysfonctionnements. Le gouvernement devra en tirer les conséquences et sanctionner. Pour l’heure, la polémique n’est pas de mise. Laissons nos gouvernants faire leur travail.

Nombre de nos lecteurs, et notre rédaction s’en est d’ailleurs fait l’écho, ont déploré, au cours de cette crise, votremanque de prise de parole et de présence sur le terrain. Que répondez-vous à ceux qui vous disent inaudible dans la tourmente que nous traversons ?

C’est une appréciation : « être présent sur le terrain » est en contradiction avec les consignes qui nous ont été données : je vous rappelle que nous sommes confinés, et en ce qui me concerne, je me suis imposé de faire ce que j’ai demandé aux fidèles de respecter. Je n’ai pas voulu garder un petit myniane en cachette, par exemple et j’ai demandé à tous les présidents de communautés de fermer les synagogues et de prier chez eux, comme je l’ai fait chez moi. Je me suis appliqué la règle qui prévalait pour tous… Je suis sorti quelques fois, pour des obsèques, pour enregistrer quelques émissions… En ce qui concerne les prises de paroles, ce n’est qu’une question de vision : il y a ceux qui veulent voir et ceux qui font en sorte de mettre un foulard devant les yeux ou se boucher les oreilles : j’ai fait des dizaines de communiqués, signés avec le président des consistoires Joël Mergui, avant qu’il ne tombe maladepuis avec le Grand Rabbin de Paris Guggenheimet Jack-Yves Bobot, j’ai fait, deux fois par semaine, des vidéos diffusées sur Internet, pris part à des dizaines et des dizaines de réunions ou conférences Zoom. Je suis investi dans la gestion de la crise et au service de la communauté et ce dans toute la France, j’ai régulièrement des déplacements à effectuer en province. Mon emploi du temps est chargé, mais je laisse cela à l’appréciation de chacun. Je sais que certaines attaques me visant à ce sujet visent tout autre chose…

Justement, la question de votre présence sur le terrain n’est-elle pas en lien avec les divergences et les tensions, apparues, semble-t-il, avec certains consistoires ? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet. ?

Oui, c’est une bonne question, mais ce n’est vraiment pas le cas. Cette tension entre le grand rabbinat et les consistoires est complètement fausse : nous avançons main dans la main avec les principaux dirigeants des consistoires. Nous sommes tous mobilisés pour échanger avec les communautés et leurs dirigeants. Ma vision d’ailleurs est simple : les synagogues n’ouvriront pas avant le 11 mai. Le cadre que nous respectons, en priorité, est celui fixé par la loi. Si demain, le gouvernement nous donne la possibilité d’ouvrir les lieux de culte, alors on gèrera au cas par cas. Nous mettrons dès lors en place un protocole sanitaire : gestes barrière, distanciation sociale, nombre de personnes à l’intérieur. Il faudra, cela dit, que les fidèles soient responsables de leur propre santé…

C’est-à-dire ?

Je vais vous raconter une anecdote : j’ai pris part récemment à un enterrement, au cours duquel un orateur faisait passer un micro de mains en mains sans aucune protection. J’ai refusé de le prendre, par précaution. Il y a la règle, et la responsabilité personnelle. C’est à nous de nous adapter aux circonstances réelles des synagogues : certains, par exemple, me disent lorsque je dis qu’on doit limiter la fréquentation des synagogues à 10, 20, 30 fidèles : alors comment fait-on, pour le 11ème, le 21ème, le 31ème ? Et bien on devra s’adapter. Les synagogues n’ouvriront que lorsque la sécurité des fidèles sera absolue, et seulement dans ce cas-là ! Chacun, dans ce contexte, doit faire œuvre de responsabilité : j’ai le souvenir d’un merveilleux shabbat à Villeurbanne, à la veille de Pourim, qui m’a marqué. Nous avions communiqué sur le nécessaire respect des règles sanitaires : pas de contact physique, distance entre les fidèles. Pourtant j’ai vu des gens s’embrasser, se donner des accolades ou se serrer la main. J’ai interpellé moi-même un fidèle en lui disant, ‘mais pourquoi tu embrasses ce monsieur, tu pourrais le contaminer !’ ‘C’est mon oncle m’a-t-il répondu’…

Justement, pourquoi avoir laissé passer autant de temps pour prendreles décisions de fermer les synagogues, les mikvaotou encore de laisserse tenir la célébration de Pourim et desMichte (repas pris en commun lors de la célébration de Pourim-NDLR) ?

Parce que les informations que nous avions étaient largement en deçà de la situation réelle et que nous avons suivi les directives gouvernementales. Dans la synagogue où je prie, nous avons annulé toutes les festivités. Nous avons demandé l’annulationdes Michte importants au sein des grandes communautés : certaines nous ont écouté, elles ont été moins touchées. D’autres, hélas, n’ont pas suivi nos recommandations et elles ont été durement impactées. Je pense, cela dit, qu’il ne faut pas jeter la pierre aux présidents de ces mêmes communautés. Personne, il y a deux mois, n’imaginait la tragédie que nous allions vivre. Dans l’Est de la France, la transmission du virus n’est pas due à Pourim mais à un mariage, au Maroc, qui a rassemblé nombre de membres de la communauté strasbourgeoise. C’est au retour de ce mariage que l’épidémie s’est révélée. Dès que nous avons pris la mesure de la gravité de la situation, nous avons fermé les synagogues, alors que juridiquement, les lieux de culte n’étaient pas contraints de fermer à cette période.

Pourtant, la pandémie a été décrétée dans la 3ème semaine du mois de février 2020…

Oui effectivement, mais cela n’est autre que l’arbitrage du gouvernement. Il y a eu des erreurs, je pense, mais à l’instant t, toutes les décisions sont difficiles à prendre. Par exemple le maintien des élections municipales : beaucoup de gens se sont contaminés lors des élections…

 

« Il nous a fallu nous référer aux Textes pour apporter des réponses »

 

Certes, mais l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) avait annoncé qu’il s’agissait d’une pandémie aux alentours du 25 février. Or Pourim se tenait le 8 mars. Quel dommage de ne pas avoir pris de décisions plus fortes ! 

Nous avons pris des décisions importantes : les mesures sanitaires instaurées étaient plus strictes que cellesédictées par le gouvernement : quand nous devions être 500, nous étions 100, et quand nous étions 100, nous passions à 30 fidèles. Nous avons limité de manière drastique l’affluence dans les synagogues. Je vous rappelle également que nous avions fait une déclaration précisant que toutes les personnes à risques, personnes âgées, personnes fragiles souffrant de pathologies chroniques ne devaient pas venir à la synagogue à Paris… Nous avons même dû demander à un monsieur âgé de rentrer chez lui. J’ai la chance d’avoir, dans ma synagogue, le Grand Rabbin Guedj. Par précaution, je lui ai téléphoné et demandé de rester chez lui pour Pourim …Nous avions anticipé sur beaucoup de sujets et nous avons réagi du mieux possible aux circonstances et aux événements qui se présentaient… Ce qui est étonnant, troublant, c’est que ceux qui hurlaient au scandale, lorsque nous avons fermé les synagogues, sont les mêmes qui nous reprochent aujourd’hui de ne pas les avoir fermées avant. Or, c’était et c’est toujours une situation inédite que peu d’entre nous ont affrontée par le passé. En ce qui me concerne, je n’avais jamais entendu parler de confinement. Il a d’ailleurs fallu que nous, rabbins, cherchions dans les textes, dans les écrits de la Guemara, notamment des références à ce que nous étions en train de traverser. Effectivement, lorsqu’il y a une pandémie, il faut rester chez soi. L’OMS n’a pas pris au sérieux le potentiel de diffusion à l’échelle du monde de cette épidémie. Fin février, on parlait encore de « grippette ». Lorsqu’il fut clair pour nous que ce virus était mortel, nous avons pris des décisions très fermes, comme refuser aux anciens de prier dans les synagogues. Je l’ai vécu personnellement : lors du shabbat précédent le confinement : un homme âgé était venu prier au sein de la synagogue où je me trouvais. Un fidèle s’est levé et lui a demandé de rentrer chez lui en lui expliquant que c’était dangereux pour lui. Il est alors reparti. C’était la mesure dont j’avais demandé l’application et elle a été respectée. Ce qui me paraît important, dans ce que je viens de vous relater, c’est l’unité et la responsabilité des leaders communautaires, qui ont fait de leur mieux pour que les dispositions prises soient appliquées. Bien évidemment, on peut toujours mieux faire…

Avez-vous formé une cellule de crise ?

La cellule de crise est constituée autour du FSJU, du CRIF, des consistoires de France et de Paris, de l’AMIF. J’en fait, bien sûr, partie, et c’est le Rabbin Moshé Lewin qui me représente en son sein. Nous échangeons après chaque réunion, donc quotidiennement. Cette cellule de crise inclut des associations compétentes dans leur domaine, qui effectuent un travail exceptionnel quel que soit le sujet :Mikve, funérailles, transports des corps vers Israël avec un nouvelacheminement viaLiège en Belgique. Elle a démontré le bon fonctionnement de nos institutions et je ne peux que me féliciter de cette collaboration.

La communauté semblait être plongée dans un grand désarroi avant les fêtes de Pessah. Comment l’avez-vous vécu et avez-vous réagi ?

Avant Pessah, notre objectif était de rassurer les gens, parce qu’il y a eu des manifestations d’inquiétude, effectivement. L’un des sujets récurrents était la possible pénurie alimentaire, notamment de viande casher. En réalité, grâce à D.ieu, nous n’avons manqué de rien. J’ai encore en mémoire, des messages de rabbins disant que nous pouvions garder du Hametz, dans le cas où on manquerait de denrées alimentaires à l’issue de Pessah. Des rabbins ! J’ai fait en sorte d’assurer, en collaboration avec tous les producteurs de viande, un approvisionnement permanent. Et j’ai bataillé, je peux vous le dire ! Le mot est faible, même : parfois c’était les préfets qui ne laissaient pas se faire les abattages. En général, c’était plutôt les abattoirs qui refusaient que nos rabbins, les chohetim venant de Paris, puissent abattre les bêtes. Au quotidien, il a fallu lutter et négocier ou donner des assurances pour obtenir que personne ne manque de rien, y compris les plus démunis, qui ont un besoin vital de paniers de denrées à Pessah. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail incroyable effectué à cet égard par les associations, en particulier les jeunes notamment de l’UEJF. Le désarroi venait, vient aussi des souffrances, vécues alors que la vie synagogale, elle, s’est arrêtée. J’ai appelé énormément de gens en deuil, mais je sais que, tant qu’ils ne pourront pas faire de Kaddish avec un myniane, ils n’auront pas l’impression d’avoir faire ce qu’il faut pour leur proche disparu. La reprise des offices est nécessaire de ce point de vue, mais encore une fois, elle ne pourra se faire que lorsque nous serons en capacité d’assurer la sécurité sanitaire de tous. Nous tentons de mettre en place des normes avec les présidents de communautés et je pense que lorsque les fidèles pourront revenir prier dans leur synagogue, la sérénité reviendra, même s’il faudra s’adapter aux règles sanitaires…

 

« Il nous faudra repenser notre rapport au temps, intégrer la fragilité des choses. »

 

Le monde d’hier ne sera plus celui que nous connaîtrons dans le futur ?

Oui, évidemment.Ce que nous faisions hier, ces grandes fêtes, les danses, la joie,Simha Torah par exemple, tout cela seradifférent : on ne pourra plus avoir ces marées humaines qui viendront dans les synagogues. Il faudra organiser les offices, peut-être, avec plus de discipline, respecter les distances sanitaires que nous imposera la situation du moment… Il faudra aussi intégrer la nécessaire capacitéà réagir très vite. La Torah nous l’apprend dans le psaume 68 « Yom Yom » : « Quelle est notre projection dans le futur, jour après jour ? » A ce jour, aucune : qui sera à même de prévoir ce qu’il se passera demain, dans un an ou deux ? Nous repoussons les fêtes, mais nous ne savons rien de ce qu’il adviendra alors. Nous aurons donc à définir un rapport au temps différent, avec une prise de décisions à plus court terme que celle dont nous avions l’habitude. Dans le même temps, il nous faut réapprivoiser le temps court et ce qu’il nous donne : nous sommes privés de nos libertés : des choses simples comme boire un coca ou un café dans un bar sont devenues précieuses. Presque tout ce que nous faisions au quotidien sans y penser est aujourd’hui précieux. Cette fragilité des choses, des gestes, des habitudes auxquelles on tient, deviendra permanente.

Pouvez-vous dire aujourd’hui, combien de personnes sont décédées du COVID-19, au sein dela communauté juive ?

Nous avons fait il ya deux semaines, un décompte de ceux qui sont décédés de mort naturelle, ceux ayant une longue maladie, et ceux décédés du COVID-19, avec le responsable de la HevraKadicha et d’après lui, il serait de1 % des décès à l’échelle du pays. Si nous prenons en comptele fait que le nombre de décèsen France dus auCOVIDest de plus 23000 morts à ce jour (cet entretien a été réalisé le jeudi 30 avril-NDLR)cela ferait environ 250 décès. Mais réduire le nombre de personnes défuntes au sein de notre communauté à un chiffre qui rentre dans les statistiques est insupportable. Nous avons tous, dans notre entourage, proche ou moins proche, connu des personnes qui, hélas, ont fait partie des victimes. Pour les familles, les amis, la perte d’un être cher ne se réduit pas à un chiffre. Je me suis récemment entretenu avec les dirigeants de pompes funèbres. Grâce à D.ieu, et même si nous ne disposons pas encore de chiffres exacts, nous pouvons dire qu’aujourd’hui, le nombre de décès est en baisse : il y a encore quelques semaines, il y avait entre 6 et 15 convois par jour…

Pourtant, des informations ont couru concernant un nombre de décès avoisinantles 2000 morts ?

Non, c’est impossible ! Nous avons fait un calcul très précis, région par région pour connaître l’ampleur et l’impact de cette tragédie sur notre communauté.

Connaissez- vous le nombre de nos coreligionnaires encore hospitalisés ou en réanimation ?

Nous avons des chiffres globaux par région et nous prenons évidemment des nouvelles des personnes que nous connaissons personnellement, comme le rabbin Malka (décédé quelques jours après cet entretien, z’l). Parfois les décès sont très brutaux, la personne allait mieux et soudain tout s’emballe, c’est arrivé à mon ami Claude Barouchz’l, Président de l’UPJF (Union des patrons juifs de France). Le plus terrible, c’est de ne pas avoir d’informations et nous avons pris en compte la détresse que cela induit. Nous avons donc mis en place un numéro pour la communauté juive, afin que les personnes qui ont des interrogations puissent avoir des réponses. Cinq rabbins se relaient pour tenir cette permanence téléphonique. Nous avons eu à affronter des situations hors-normes : Pouvions-nous imaginer, il y a à peine quelques mois, de faire enterrer son père ou sa mère sans pouvoir être présent ? Non, et pourtant, c’est bien ce qu’il s’est passé lorsque les corps ont été acheminés vers Israël, les enfants des défunts, eux, n’ont pas pu suivre. C’est très dur, très lourd à accepter…

Justement, vous évoquez Claude Barouch et l’un de nos lecteurs a une question en lien avec ce sujet. Nombre de personnalités lui ont rendu hommage, vous en étiez. Nous aussi avons évoqué son action, et sa disparition. Notre lecteur, lui, s’interroge sur votre proximité avec les simples fidèles. Vous faites l’effet, nous écrit-il, d’un rabbin VIP, surtout concerné par la France d’en haut, et par ceux qui, au sein de notre communauté, ont une position sociale.  Que répondez-vous à cela ?

Si je n’avais pas été présent à l’enterrement de Claude BarouchZ’l, cela m’aurait été certainement reproché ! Claude était un ami et un homme investi que j’ai accompagné dans nombre de ses combats. C’était un militant communautaire infatigable, et je ne pouvais l’ignorer. Pour les enterrements, j’ai remplacé moi-même certains rabbins, car beaucoup d’entre eux étaient malades. J’en ai fait quatre, jusqu’ici. Je connaissais personnellement deux des défunts. Le troisième était un rescapé de la Shoah, et quant au 4ème, je ne le connaissais pas. Il n’y avait personne pour l’accompagner vers sa dernière demeure. Lorsque je fais, je ne dis pas. Je ne suis pas dans mon rôle, si je communique sur ce sujet. J’assume donc le fait que chacun puisse penser ce qu’il veut de moi. C’est écrit dans les psaumes…Je ne dirai jamais ce que je fais, moi, c’est écrit dans les psaumes. J’aimerais donc répondre à votre lecteur par un exemple issu de la Meguila d’Esther, dans le dernier chapitre : « Mordehaï est aimé de tous. » Mais lorsqu’il prend ses responsabilités et assume d’être l’homme qui remplace Amane, il perd une partie de ses soutiens. Il y a eu et il y aura toujours des gens contre vous, des gens qui nous disent qu’il aurait fallu être ou faire autrement. C’est ainsi…

Parlons desEhpad : à l’échelon du pays, ils ont connu un nombre de décès effrayant. Qu’en est-il des Ehpad communautaires, au sein desquels, selon nos informations, la situation serait tout aussi catastrophique ?

A Créteil (Val-de-Marne), dans un Ehpad, 22 résidents sont décédés, c’est vrai. Mais c’est, en ce qui concerne cet établissement, les conditions d’accueil générales qui sont en cause, et notamment la vétusté des infrastructures. D’un point de vue général, tous les résidents défunts, au sein des Ehpad communautaires, ne sont pas forcément des victimes du COVID-19. Certains ont péri du fait de leur grand âge, d’autres effectivement sont des victimes indirectes : c’est par exemple, l’isolement, l’absence de lien avec leurs proches qui les a atteints. Il faut protéger nos aînés en prenant en compte certaines particularités, mais nous l’avons compris trop tard…

 

« Nous devrons compter sur la solidarité communautaire »

 

Justement, au plus fort de l’épidémie, nous avons posé des questions aux différents aumôniers militaires, pénitentiaires et des hôpitaux israélites : nombreux sont ceux qui ont ressenti, de votre part, un manque de soutien et constaté un manque de présence sur le terrain.

Je pense avoir fait mon travail. Être sur le terrain, je vous l’ai déjà dit, c’est une notion très subjective : devais-je faire ce que j’ai fait en étant plus visible ou être plus présent. Nous étions confinés, nous devions être confinés mais j’aurais dû faire ce que j’interdisais de faire aux fidèles ? J’ai assumé ma tâche dans le respect des règles : lorsque les familles m’appelaient, j’ai transmis aux aumôniers. Les demandes que je pouvais gérer seul, je les ai gérées. Concernant l’armée ou les prisons, j’ai suivi de près les problématiques rencontrées, comme l’acheminement des colis de Pessah au sein des établissements pénitentiaires. La circulaire permettant la livraison des colis aux détenus juifs ayant tardé, j’ai personnellement appelé le directeur pénitentiaire pour qu’elle soit diffusée. Deux heures plus tard, l’affaire était réglée. Si les rabbins ont ressenti un manquede soutien de ma part, alors encore une fois, j’en suis désolé, mais ils ne me l’ont pas dit. Pourquoi ? Qu’attendaient-ils comme type de soutien de ma part ? Car je peux vous dire que chaque appel, chaque demande qui m’a été formulée a reçu réponse. Alors, soit c’est une impression basée sur de mauvaises informations, soit c’est de la diffamation…

Parlons de l’avenir et notamment de ce qui s’annonce, en commençant par un sujet qui préoccupe nombre de familles : l’école juive. Familles et établissements se retrouvent aujourd’hui confrontés à des difficultés insondables : faute de moyens, les familles ne peuvent plus avancer les frais de scolarité. Faute de rentrées d’argent, les écoles, elles, courent le risque de devoir fermer leurs portes. Y a-t-il une cellule de crise qui prend en compte cette problématique car elle va prendre de plus en plus d’ampleur, à l’heure où l’on parle de rouvrir les établissements scolaires ?

 

Il faut d’abord remarquer que le dispositif mis en place par le gouvernement est assez incroyable. Pour traverser la crise sanitaire, l’État s’est montré très protecteur. Bien sûr, cela ne suffira pas à éviter les lignes de fracture et les fragilités, notamment dans les entreprises. A ce titre, je le dis, nous compterons aussi sur la solidarité communautaire et les dons. Il y a, au sein de notre communauté, une entraide formidable. Par ailleurs, l’une des demandes de Joël Mergui à l’État a été entendue : il s’agit de passer la défiscalisation des dons des entreprises de 66% à 75 %. Cela a l’air minime, mais c’est, au contraire, primordial, car cela permettra aux associations de bénéficier de dons de professionnels plus nombreux et plus importants. Nous allons vers des jours difficiles. Il faudra donc avoir une attention particulière pour les plus fragiles. Concernant les écoles, je pense que dans l’ensemble elles ont pu assumer la gestion de leurs frais fixes. J’en profite pour saluer le travail et l’effort des équipes pédagogiques, qui ont maintenu la scolarité de nos enfants grâce à l’enseignement à distance. J’espère qu’elles pourront être à l’écoute des familles les plus démunies ou les plus touchées par cette crise. J’ai aussi sur ce sujet, sollicité Marc Eisenberg (entrepreneur et philanthrope, fils du grand rabbin Josy Eisenberg-NDLR), afin qu’il tente de mettre en place des bourses pour les élèves précaires. Il s’est engagé à aider les familles…  Les réseaux scolaires, eux, ont conscience des problèmes. Les écoles seront aidées par les institutions communautaires et les familles qui s’en sortaient difficilement avant cette crise, puissent être accompagnées afin qu’elles ne sombrent pas. La cellule de crise et les systèmes d’alerte que nous avons mis en place jouent leur rôle à plein. Toute la question repose désormais sur la façon dont l’économie repartira. Cet élément sera déterminant.  

Dans un an auront lieu de nouvelles élections pour choisir le prochain Grand Rabbin de France.Avez-vous déjà envisagé de vous représenter ?

Comme je vous l’ai déjà dit, je me repose sur le psaume 68 Yom Yom… C’est, ce que m’a enseigné le Grand Rabbin Chouchenaz’l. Je ne me projette pas pour l’instant et je n’ai rien fait jusqu’à présent qui puisse laisser penser que je m’occupe de cela. On verra, Hachemdécidera…

Dernière question, monsieur le Grand rabbin. Quel est, selon vous, l’avenir des juifs en France ?

Nous avons une place au sein de la société française, elle n’est pas en question. Nous l’avons vu lorsque le Président a réuni les cultes. Nous sommes l’une des facettes de la société française. Nous avons su montrer que nous étions respectueux des Lois de la République, et il est évident que nous avonsà prendre part à la reconstruction de la France. Indiscutablement. Je conclurai en vous disant qu’Hachem renouvelle tous les jours la création du Monde…

 

Merci au Grand Rabbin de France, Haïm Korsia…

Interview exclusif pour Israel Actualités

Alain SAYADA

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