Le cardinal Pizzaballa : de Jérusalem à Rome, un pont entre foi, courage et complexité politique
Par René Taieb – Israel Actualités
À l’heure où le Saint-Siège se prépare à élire le successeur du pape François, un nom émerge avec une force inattendue, à la fois spirituelle et politique : celui du cardinal Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem. Sa candidature ne serait pas seulement historique – il serait le premier pape vivant en Terre Sainte – elle serait aussi hautement symbolique dans un monde où les lignes religieuses, éthiques et diplomatiques se brouillent.
Ce franciscain italien, né dans le calme rural de Castel Liteggio en 1965, incarne un paradoxe fascinant : la simplicité pastorale conjuguée à l’expérience des terrains les plus explosifs de la planète. Il ne vient pas des palais romains ni des chancelleries vaticanes, mais des ruelles de Jérusalem, de Bethléem, de Gaza et d’Amman, où la foi se confronte au feu.
Un geste rare, une parole forte

L’archevêque Pierbattista Pizzaballa arrive à une cérémonie de consistoire organisée par le pape François pour élever des prélats catholiques romains au rang de cardinal sur la place Saint-Pierre au Vatican, le 30 septembre 2023. (Reuters/Remo Casilli)
Le cardinal Pizzaballa a frappé les consciences internationales en octobre 2023, quelques semaines après les attaques sanglantes du Hamas contre Israël. Dans un acte qui dépasse les cadres ecclésiastiques traditionnels, il a proposé de se livrer comme otage en échange de la libération d’enfants israéliens capturés. Une parole sans calcul, qui rappelle la vocation évangélique dans sa forme la plus pure : « donner sa vie pour ses frères ».
Peu de leaders religieux dans le monde peuvent se targuer d’un tel courage moral – surtout à une époque où les postures diplomatiques l’emportent souvent sur les engagements de terrain.
Une figure respectée… et controversée

Le patriarche latin Pierbattista Pizzaballa, le plus haut dignitaire religieux catholique de Terre Sainte, arrive à l’église de la Nativité, traditionnellement considérée comme le lieu de naissance de Jésus, la veille de Noël dans la ville de Bethléem, en Cisjordanie, le dimanche 24 décembre 2023. (AP Photo/Leo Correa)
Sa maîtrise parfaite de l’hébreu, son ancrage dans la réalité israélo-palestinienne et sa reconnaissance auprès des autorités régionales – de la Jordanie à Ramallah, d’Israël au Saint-Siège – font de lui un acteur d’équilibre unique. Le président israélien Isaac Herzog l’a décrit comme un homme « brillant, compétent et respecté de tous ».
Et pourtant, même un homme de paix peut heurter. Sa signature initiale d’une déclaration appelant Israël à « éviter de tuer des innocents », sans dénoncer explicitement les crimes du Hamas, a suscité un malaise profond. En retirant par la suite son soutien au texte et en condamnant avec clarté les massacres du 7 octobre comme une « barbarie inacceptable », il a tenté de rétablir la confiance, en assumant la complexité morale de la situation.
Un pont entre Rome et Jérusalem
Si le cardinal Pizzaballa est élu pape, Rome regardera Jérusalem avec un regard nouveau. Pour la première fois, le chef de l’Église catholique aurait un lien organique avec Israël, non pas comme une abstraction théologique, mais comme une terre vécue, parlée, ressentie au quotidien. Il incarnerait un pape des périphéries, comme le souhaitait François, mais aussi un pape de la frontière, entre les religions, les peuples et les récits historiques.
Sa papauté – si elle se concrétisait – pourrait devenir un catalyseur de rapprochement entre chrétiens d’Orient, juifs et musulmans modérés. Mais elle poserait aussi des défis considérables, notamment vis-à-vis d’un monde catholique souvent frileux à aborder de front les enjeux du terrorisme, du dialogue interreligieux sincère et des liens avec Israël.
Conclusion : un choix audacieux pour un monde fracturé
Le conclave à venir ne désignera pas seulement un successeur de Saint Pierre. Il devra élire un capitaine pour une Église face à une mer de crises : guerres, migration, sécularisation, antisémitisme, intolérance religieuse. Dans ce contexte, la figure de Pizzaballa – homme de paix, de terrain et de foi – pourrait incarner le souffle dont l’Église a besoin pour redevenir audible dans le tumulte du monde.