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Goldnadel : réflexions sereines sur l’affaire Morano

Gilles-William Goldnadel revient sur la polémique déclenchée par Nadine Morano après son utilisation du mot «race». Pour lui, ce mot est dévoyé par l’antiracisme.

Gilles-William Goldnadel est avocat et écrivain. Il est président de l’association France-Israël. Il tient une chronique hebdomadaire sur FigaroVox.

Dans mes «Réflexions sur la question blanche», qui datent déjà de 2011, j’essayais précisément de réfléchir à froid sur l’indicible tabou des tabous. Maintenant que le tintamarre médiatique issu de l’affaire Morano est en train, peu à peu, de baisser d’intensité névrotique, je vais m’autoriser, dans une relative sérénité retrouvée, de tenter d’expliquer pour quelles raisons, précisément, le débat relève de la névrose collective.

AFP/AFP/Archives - Nadine Morano le 16 septembre 2014 à Paris
AFP/AFP/Archives – Nadine Morano le 16 septembre 2014 à Paris

Observons d’ores et déjà, que le procès en xénophobie raciste intenté à Nadine Morano, quel que soit le regard que l’on porte sur la forme de ses propos, relève plus du domaine de l’inquisition religieuse que du débat politique ou juridique, puisque, à ma connaissance, nul ne lui a clairement, alternativement ou cumulativement, reproché, soit de ressusciter la notion désormais sensible de race, soit d’avoir considéré que les Français devaient être majoritairement blancs et chrétiens, selon la formule attribuée par Alain Peyrefitte au général de Gaulle.

1. En ce qui concerne la notion de race, j’affirme que personne n’est capable de dire si le mot «race» est ou non un gros mot, dans l’esprit universel.

 Tahar Ben Jelloun
Tahar Ben Jelloun

Dans un ouvrage pédagogique, s’il en est, sur le racisme, puisqu’il s’intitule Le racisme expliqué à ma fille, le bienveillant Tahar Ben Jelloun écrit: « Le mot «race» ne doit pas être utilisé pour dire qu’il y a une diversité humaine. Ce mot n’a pas de base scientifique. Il a été utilisé pour exagérer les effets de différences apparentes, c’est-à-dire physiques – la couleur de la peau, la taille, les traits du visage – pour diviser l’humanité de manière hiérarchique, c’est-à-dire en considérant qu’il existe des hommes supérieurs par rapport à d’autres hommes qu’on mettrait dans une classe inférieure. Je te propose de ne plus utiliser le mot «race»

Ainsi, pour certains «antiracistes», le mot «race» serait devenu tabou sous le prétexte qu’il aurait été instrumentalisé par l’une des idéologies les plus criminelles de tous les temps.

Pour se convaincre du bien-fondé de ma thèse habituelle sur la naissance du «politiquement correct» moderne à partir du choc traumatique de la Shoah, on pourra se persuader de la concordance de la proscription verbale du mot contesté avec le génocide nazi en se référant au texte du «Courrier de l’Unesco» rédigé en 1950, qui au lendemain donc de la seconde guerre mondiale, proposait d’abandonner le vocable honni au profit du, paraît-il , plus correct «groupe ethnique», celui-ci prenant en compte l’élément culturel cher à Lévi-Strauss. Le politiquement correct était né. Du traumatisme suprême. Avec de bonnes intentions. Dont l’enfer serait pavé.

D’abord, observons qu’il n’y a pas que le mot «race» qui ait été cruellement dévoyé. Faut-il interdire l’invocation de Dieu sous prétexte que les plus grands crimes sont commis en son nom? Idem pour «République», utilisé pour massacrer les ci-devant, et pour «socialisme», perverti à la fois par Staline et Hitler ?

En outre, il arrive que le vocable que M. Ben Jelloun déconseille à sa fille soit, précisément, utilisé à des fins antiracistes.
C’est ainsi que la pourtant fort correcte politiquement Organisation des Nations Unies, dans le cadre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, a entendu «favoriser la bonne entente entre les «races» et édifier une communauté internationale affranchie de toutes les formes de ségrégation et de discrimination raciales».
Il faudra ainsi nous expliquer comment, logiquement, on pourrait à la fois interdire race et dire racisme, réprouver la discrimination raciale, sans éprouver la race discriminée.

C’est pourquoi, aux États-Unis, moins soumis sur ce point aux diktats terminologiques conceptuels, la notion de race conserve sans complexe un usage social, à buts, précisément, antiracistes, dans la meilleure acception du terme.
Contrairement à de nombreux pays européens, dont la France, qui s’y refusent pour des motifs de plus en plus abscons, la race est incluse comme paramètre dans le recensement américain.

Dans un contexte essentiellement protecteur, la Cour suprême des États-Unis a statué à plusieurs reprises en invoquant expressément la race: loi sur la déségrégation sociale, loi sur la discrimination positive…

Général De Gaulle
Général De Gaulle

2. La seconde question de fond que pose la polémique médiatique issue de l’affaire Morano est la suivante: quand donc, la réflexion prêtée au général De Gaulle est-elle devenue scabreuse et scandaleuse, comme le considère aujourd’hui sévèrement un quotidien du soir? Autrement dit, quand De Gaulle serait-il devenu subitement raciste?

Le 18 juillet 1953, l’éditorialiste du Monde écrit pourtant: «s’il paraît impossible d’éviter un jour ou l’autre leur massif rapatriement, il est inévitable alors d’envoyer chez eux les Algériens qui ne peuvent vivre chez nous, il s’agit donc d’équiper l’Algérie en conséquence et vite.» Et un commentateur aussi bienveillant de ce journal que Jacques Thibault d’écrire (Le Monde 1944-1996, Plon, 1996): «nous sommes au début des années 1950, une vague d’immigration maghrébine est en cours qui se poursuivra dans les années 1950- 1960. Avant même que s’implante une forte population algérienne sur le territoire métropolitain, Le Monde appréhende qu’un trop grand nombre de Maghrébins vivent chez nous.»

C’est donc en 1960 que De Gaulle déclare à Alain Peyrefitte: «Il ne faut pas se payer de mots! C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Cela montre que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon la France ne serait plus la France. Nous sommes avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne.»

Le 2 juillet 1998, Le Monde titre sur trois colonnes: «70 % des Français tentés par le racisme».

A l’examen du sondage CSA, on constate pourtant que si une majorité de Français considèrent qu’il y a un problème d’immigration en France, ils répondent très majoritairement qu’ils ne sont pas racistes, qu’ils n’ont pas de sentiments racistes envers telle ou telle communauté, ni même qu’ils n’éprouvent de quelconques préjugés…

Première question: que s’est-il donc passé pour que le journal qui était autrefois censé référencer l’esprit français et l’homme de la France libre et incarnant la résistance aient écrit des phrases qui, aujourd’hui, les voueraient aux gémonies, où enverraient rôtir dans les flammes de la géhenne toute inconscient-ou inconsciente-qui les réitérerait?
Deuxième question: inversement, que s’est-il passé pour que la simple évocation d’un problème réel, sans jugement dévalorisant discriminant, puisse être considérée 40 ans plus tard par le même organe de référence comme constitutif de racisme?

La réponse évidente à cette question est unique : l’obsession xénophile issue du choc médiatique de la Shoah est passée au milieu. Dans le mitan des années 1960, vers 1968. C’est elle qui proscrivait toute réflexion identitaire nationale autour de questions religieuses et ethniques. Et même rendait sulfureuse la seule évocation d’une idée de race ou même de racines. Ce qu’énonçait tranquillement l’homme du 18-Juin relevait désormais de l’indicible. C’est elle aussi qui interdit toute demande de retour vers leur pays devenu indépendant de populations exogènes, comme l’écrivait naturellement, en toute bonne conscience, et sans bien entendu soulever la moindre objection intellectuelle ou encore morale, un journaliste progressiste et pro-algérien des années 50 parce qu’une telle problématique relevait alors de l’impensé.

Osons, à présent, une troisième question: l’éditorialiste du Monde, le général étaient-il racistes?
Le sont-ils devenus sans le vouloir, sans le savoir, en mourant, par la disgrâce du temps qui passe?
Et le malheureux sondé qui répond positivement à la question de savoir si, en France, l’immigration étrangère ne serait pas excessive, l’est-il devenu par la grâce d’un progrès moral intervenu depuis et qui lui vaut d’être vertement rappelé à l’ordre moral nouveau?

Et si, tout simplement, dans un débat contemporain rationnel, libre et éclairé, la seule question politique digne d’être posée, sereinement – et pas le couteau antiraciste sous la gorge -, ne devrait pas être celle d’un éventuel anachronisme?
On peut parfaitement, sans être accusé de haute trahison ou de folie suicidaire, soutenir aujourd’hui, que la conception traditionnelle, étroite à tous égards, d’un État-nation ethnoculturel largement mythique, aux frontières illusoires, est doublement et inexorablement dépassée: en raison du nouvel espace public européen créé au lendemain d’une horrible guerre fratricide, en raison de l’irrésistible mondialisation accélérée des échanges humains et culturels causés par un rétrécissement de la planète, lui-même engendré par la révolution des transports. Cette thèse est défendable.

Mais on peut également plaider, sans être déconsidéré pour cause de racisme ou de xénophobie, que la richesse humaine est faite de la diversité identitaire de ses peuples et de ses cultures. Que ceux-ci sont enracinés par leur histoire commune dans une même géographie, que l’Europe politique demeure une construction artificielle, désincarnée et irresponsable, et qu’enfin la principale leçon du dernier cataclysme historique, sauf à sombrer dans l’utopie mortelle, est qu’un État-nation pacifique mais déterminé à se défendre reste le meilleur rempart démocratique contre la barbarie du fanatisme et de l’expansionnisme renaissants. Cette thèse n’est toujours pas obsolète, elle mérite également le respect. Elle demeure en dépit de toutes les intimidations, celle de la majorité d’un peuple français qui relève la tête tout en gardant les pieds sur sa terre.

Raison pourquoi, quelques soient les arrière-pensées ou les maladresses de Mme Morano, les tombereaux d’injures qu’elle a dues endurer sont indignes d’un débat démocratique respectable et respectueux.
A fortiori, quand dans le camp – paraît-il du progrès et de la modernité-, au même moment, des propos autrement plus scandaleux ont été proférées en toute impunité.

Mme Delphine Ernotte
Mme Delphine Ernotte

C’est la toute récente responsable de France télévision, Mme Delphine Ernotte, qui considère qu’il y a trop de blancs visibles sur les écrans et que cela va changer. Visiblement, le blanc existe, quand il s’agit de le faire disparaître.
C’est

Guy Bedos
Guy Bedos

, qui regrette sur France 5, le 25 septembre, que «le juif» d’origine algérienne Eric Zemmour «qui se veut plus français que les Français» le soit devenu par la grâce du décret Crémieux.
Tant que dans la France moderne, on pourra impunément injurier les femmes, les juifs et les blancs, qu’on ne compte pas sur moi, pour mettre une femme au ban.

Gilles William Goldnadel ©

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