Quand les mots trahissent les valeurs – chronique d’un naufrage politique
Il y a des mots qu’on ne peut pas effacer, même avec des excuses. Des phrases qui, une fois prononcées, laissent un goût amer, un choc, une cassure. C’est ce qui s’est passé lundi soir dans le 20e arrondissement de Paris, lorsqu’une élue écologiste, Lila Djellali, a prononcé devant le conseil d’arrondissement une phrase qu’on n’attendrait jamais d’un responsable politique :
« Le jour où on rassemblera au même endroit les juifs, on a peur qu’ils puissent devenir dominateurs, qu’ils puissent faire l’impensable. »
Attribuée à tort à Charles de Gaulle, cette citation est un concentré de préjugés antisémites, renvoyant à des siècles d’essentialisation, de peur projetée, de stigmatisation. Le tollé a été immédiat. Et à juste titre.
Le lendemain, l’élue présente ses excuses, reconnaît avoir « repris une citation antisémite », annonce sa mise en retrait, et promet de « se former » pour ne plus commettre de telles erreurs. Le parti Les Écologistes, par la voix de son bureau politique, condamne les propos, accepte cette mise en retrait, et saisit en urgence son conseil disciplinaire.
L’affaire serait-elle close ?
Pas si vite.
Un réflexe ou un malaise plus profond ?
Ce qui choque ici, ce n’est pas seulement la phrase – aussi grave soit-elle – mais la légèreté avec laquelle elle a été prononcée, dans un contexte de débat sur Gaza, comme si le climat émotionnel et idéologique suffisait à brouiller les repères. Cela trahit un problème plus profond : l’infiltration insidieuse de préjugés antisémites dans certains discours « engagés », camouflés sous des termes d’un anticolonialisme mal maîtrisé.
La lutte pour les droits des Palestiniens est légitime. Mais elle ne peut en aucun cas justifier ou excuser l’usage de stéréotypes sur « les juifs », peuple trop souvent assigné à une identité collective homogène et malveillante. Ce raccourci dangereux mène à des amalgames, et donc à la haine.
Les Verts, entre image et crédibilité
Les Écologistes ont voulu montrer qu’ils réagissaient vite, qu’ils ne transigeaient pas avec l’antisémitisme. Pourtant, leur promptitude à « acter une mise en retrait » et à « saisir un conseil disciplinaire » ressemble parfois à une manœuvre de communication plus qu’à une prise de conscience réelle. Un réflexe défensif. Une parade. Une tentative de préserver la façade.
Pendant ce temps, les militants sincères, les électeurs choqués, et les Français de confession juive nombreux dans cet arrondissement encore une fois visés collectivement voient passer les excuses, les déclarations, les communiqués.
Et se demandent :
où est la limite ?
Combien de fois faudra-t-il rappeler que l’antisémitisme, même masqué de maladresse, reste de l’antisémitisme ?
Combien de fois faudra-t-il que la parole publique trébuche avant qu’elle se reconstruise sur autre chose que des postures ?
Une responsabilité immense
Quand on est élu, on n’a pas le droit de parler à la légère. On représente une institution, un territoire, une population. On porte une responsabilité morale. Et quand cette responsabilité est trahie, des excuses ne suffisent pas. Il faut du courage politique. Il faut des actes. Il faut une volonté claire de rompre avec l’ambiguïté, avec la tentation de relativiser ou d’excuser.
Alors oui, la justice sera peut-être saisie. Le conseil disciplinaire statuera. Mais ce que cette affaire révèle, c’est un besoin urgent de repenser la manière dont certains discours se radicalisent en croyant défendre des causes. Car l’antiracisme ne peut pas tolérer l’antisémitisme. Pas même un peu. Pas même par erreur. Pas même « en citant ».
Sinon, ce ne sont pas que les valeurs écologistes qui s’effritent. C’est la crédibilité morale de tout un courant politique qui vacille.
Alain SAYADA