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Le mois d’après: des Juifs français entre doute, peur et désir d’ailleurs

Paris, 6 fév 2015 (AFP) – Que les attentats parisiens n’aient « rien » ou au
contraire « tout changé » dans un climat déjà pesant, qu’eux-mêmes envisagent ou
non de partir, des Juifs de France disent leurs doutes voire leur désarroi, un
mois après les tueries.
Dix-sept morts en trois jours, du 7 au 9 janvier. Et parmi eux quatre
hommes juifs abattus à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes – la plus
meurtrière attaque antisémite en France depuis 30 ans, avec les assassinats de
l’école juive de Toulouse en 2012.
Y’a-t-il, pour la première minorité juive d’Europe (500.000 à 600.000
membres), un « après Hyper Cacher » ? Esther, 37 ans, ne le croit pas.
« Cela n’a rien changé. Il n’y a pas d’avant et d’après le 9 janvier pour
moi car la menace est la même, dit-elle à l’AFP. Si les politiques ont été à
la hauteur et ont cessé de minorer la chose comme par le passé,
l’antisémitisme reste un point aveugle pour les Français. »
Il est pourtant une réalité tangible, avec des violences qui ont plus que
doublé l’an dernier par rapport à 2013, sur fond de « nouvel antisémitisme »
dans les quartiers populaires.

– « Pulsion de mort » –

En marge de manifestations pro-Gaza l’été dernier, « le climat était pire »,
selon cette psychanalyste, « la pulsion de mort contre les Juifs était à nu ».
« L’attentat contre l’Hyper Cacher c’est terrible mais ça fait série: Ilan
Halimi (assassiné en 2006, NDLR), Merah (2012), Nemmouche (2014)… »
Pour d’autres, les actes des frères Kouachi et d’Amédy Coulibaly ont changé
la donne et la vie quotidienne. Il a fallu s’habituer à la présence
rassurante, mais impressionnante, de milliers de policiers, gendarmes et
soldats supplémentaires déployés devant quelque 700 synagogues, écoles juives
et centres communautaires.
A Lucien-de-Hirsch, la plus ancienne école juive de France, dans le XIXe
arrondissement de Paris, « on a changé les procédures d’entrée et de sortie
dans l’établissement », note le directeur Paul Fitoussi.
Les événements vont-ils pousser des parents à retirer leurs enfants de ces
écoles confessionnelles qui accueillent environ 30.000 élèves en France et
constituent des cibles évidentes ? « Il risque d’y avoir des conséquences »,
redoute le chef d’établissement. Et l’allègement probable, dans quelques
semaines, du dispositif de protection suscite des interrogations. « J’entends
des parents dire: ça ne va pas être éternel, que va-t-il se passer ensuite ?
Il y a une inquiétude, notamment, sur l’après vacances scolaires », confie
Moché Lewin, rabbin au Raincy (Seine-Saint-Denis).
Mayanne Dalsace, femme d’un rabbin du XXe arrondissement, dont trois des
cinq enfants sont scolarisés en école juive, est quant à elle « impatiente
qu’ils en partent ». Et « c’est décidé, la petite dernière ira dans un collège
public ». « Quand ils partent le matin je suis angoissée, toute la journée je
pense à eux et le soir, quand je les retrouve, je me dis +ouf, encore une
journée de passée+ ».
« Avant je me moquais de mon père qui recouvrait ses livres en hébreu de
papier kraft quand il prenait le métro ! Maintenant je fais pareil, les
bouquins qui ont des caractères hébraïques visibles, je les planque »,
raconte-t-elle.

– Aliyah –

Rabbin à Strasbourg, Mendel Samama se désole: « Je parle à des gens qui
veulent partir, c’est très inquiétant ». Mais il veut voir « le verre à moitié
plein »: « Dans l’histoire du judaïsme, il est rare qu’un Etat ait pris autant
de mesures pour protéger les Juifs ». C’est ce que pense aussi le grand-père de
Betty, déporté à Auschwitz, alors que cette femme de 40 ans ne se voit « pas
laisser (ses) enfants dans cette France-là », où les attentats ont « tout
changé » et où les Juifs sont « en sursis ».
« On se dispute, il ne comprend pas ma position, il me dit +tu ne te rends
pas compte, aujourd’hui le gouvernement nous protège, alors qu’avant (sous
Vichy, NDLR) il nous pourchassait+ ». Betty le reconnaît, mais n’est pas
certaine que l’Etat « soit capable de nous protéger » si les jihadistes « sortent
par centaines ».
Elle se prépare donc à l’aliyah, l’émigration juive vers Israël, en
attendant « une opportunité professionnelle » pour le faire, tout en sachant que
« ce n’est pas pour demain ».
Elle n’est pas la seule à l’envisager: l’Agence juive a enregistré au moins
dix fois plus d’inscriptions – plus de 3.000 – à ses soirées d’information à
Paris dans les semaines qui ont suivi les attentats, alors que janvier est
d’ordinaire un « mois calme », note Daniel Benhaim. Le directeur en France de
cet organisme paragouvernemental israélien anticipe 8.500 à 10.000 départs de
France vers l’Etat hébreu en 2015, contre plus de 6.500 l’an passé – un
record, déjà.
D’autres, pour des raisons de sécurité, préfèrent un exil à Londres, New
York ou au Canada. Car Israël fait peur, parfois: « Là-bas, l’alerte attentat
c’est tous les jours, c’est un pays en guerre », fait valoir Léa Cohen, 22 ans.
« C’est absurde de dire +je pars en Israël pour me mettre à l’abri+ », dit
aussi Mayanne Dalsace. Qui en vient à penser que « la question, en fait, est:
où une mère juive peut-elle élever ses enfants tranquillement dans ce monde
? »

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