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Avion russe abattu en Syrie : mais que s’est-il vraiment passé ?

Quid de l’évolution des relations pragmatiques entre Moscou et Jérusalem après la récente crise de l’avion russe abattu en Syrie par l’armée syrienne mais attribué au départ à l’aviation israélienne ?

Entretien d’Alexandre Del Valle avec le reporter de guerre et écrivain israélien Pierre Rehov, de retour d’un reportage à la frontière syro-israélienne.

Après l’incident de l’avion russe abattu en Syrie, attribué au départ à l’aviation israélienne, une crise a opposé Moscou à Jérusalem. En vérité, on sait aujourd’hui que c’est la défense antiaérienne syrienne qui avait visé par erreur l’avion russe Illiouchine-20 au-dessus de la Méditerranée, entrainant la mort de 15 militaires à bord. Le malentendu venait du fait qu’au moment de l’incident, des missiles israéliens ciblaient des dépôts de munitions dans la province de Lattaquié (nord-ouest de la Syrie).

Chef etat major armé de l'air israelienneJeudi dernier, le chef d’état-major de l’armée de l’Air israélienne a emmené une délégation à Moscou afin d’éclaircir les circonstances du drame, et afin de confirmer la responsabilité de l’allié syrien de Moscou lors d’un raid israélien et non de sa propre aviation. Après avoir dans un premier temps accusé les pilotes israéliens de s’être servi de l’appareil russe comme couverture pour échapper aux tirs syriens, Moscou semble maintenant accepter la version de Tsahal qui affirme que non seulement l’avion russe était loin des lieux où ses appareils attaquaient l’armée syrienne, mais qu’il a été atteint à un moment où ces avions avaient déjà regagné l’espace aérien de leur pays.

benjamin-netanyahou-364e78-0@1xDe son côté, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a exprimé auprès de Vladimir Poutine sa profonde « tristesse » et lui a proposé son aide dans l’enquête. Attaché plus que tout à préserver les bonnes relations russo-israéliennes renforcées durant l’été 2018 sur le dossier syrien notamment, le président russe a finalement reconnu qu’il s’agissait d’un « enchaînement de circonstances accidentelles tragiques », tout en « exhortant le camp israélien à ne pas permettre que ce genre de situations se reproduise »…

bashar-assad_1979565cDe son côté, le président Bachar al-Assad, qui ne veut et ne peut rompre son alliance stratégique avec l’Iran et le Hezbollah, et dont l’antisionisme violent est au centre de l’idéologie nationaliste arabe due son parti Baas au pouvoir, a dénoncé « l’arrogance » et  la « dépravation israélienne » dans une lettre de condoléances envoyée à son homologue russe qui masquait mal une gêne réelle car c’est bien un avion du protecteur russe que l’armée syrienne a abattu, certes par erreur, soi-disant à cause de l’armée israélienne. Quant à l’Etat juif, sa position sur la Syrie est mal connue, souvent caricaturée, de même que ses relations avec Moscou. Pour y voir plus clair, nous nous sommes longuement entretenu avec Pierre Rehov, qui a suivi de près les relations russo-israéliennes depuis des décennies et dont le témoignage permet de répondre aux rumeurs, fantasmes ou fausses informations concernant Israël, notamment quant à son action en Syrie depuis le printemps arabe.

71labT1E89L._UX250_Alexandre Del Valle : Pierre Rehov, vous avez récemment effectué des reportages à la frontière entre la Syrie et Israël, et vous avez suivi l’évolution des rapports entre la Syrie et Israël. Commençons donc par la récente « crise israélo-russe » en Syrie : L’avion russe abattu hier et la friction verbale entre russes et israéliens qui a suivi, les Russes accusant Israël d’avoir prévenu trop tard des opérations qui ont mis l’avion russe en danger : quel est votre décryptage ; cela met -il en danger les ententes russo-syriennes de l’été ou est-ce le fruit d’erreurs sans grosses conséquences ?

pierre-rehov-686x400Pierre Rehov : Ce qui est intéressant avant tout c’est qu’Israël soit accusé d’avoir « prévenu trop tard » les Russes de son opération en cours. Cela ne fait que confirmer, une fois de plus, les accords passés entre les deux pays. Israël s’est engagé à toujours prévenir Moscou avant d’intervenir sur le sol syrien en contrepartie de l’assentiment tacite des Russes. Quand on y pense, et que l’on se souvient des relations entre Israël et l’URSS, on croirait presque rêver. Dans ce cas de figure, il s’agit évidemment d’erreurs, comme il s’en produit souvent pendant les conflits. Israël n’est pas la Turquie d’Erdogan et ne s’amuse pas à abattre ou faire abattre des avions russes pour démontrer… on ne sait quoi d’ailleurs. L’armée russe a protesté vertement, et l’ambassadeur d’Israël a été convoqué et sermonné, ce qui est de bonne guerre. Mais Netanyahou a déjà appelé Vladimir Poutine, s’est excusé et a proposé de mettre à la disposition des services de sécurité russes tous les éléments sur cette affaire à sa disposition. Il est à peu près certain que l’armée syrienne, a, comme souvent, tiré de façon indiscriminée, sans se préoccuper de la présence éventuelle d’avions russes dans le secteur. D’ailleurs, nous savons déjà que l’avion israélien était sur le chemin du retour vers sa base, quand l’Iliouchine de reconnaissance russe a été abattu. La faute en revient donc entièrement aux Syriens. On peut donc s’attendre, au contraire, à une coopération renforcée entre Moscou et Jérusalem, de sorte que ce genre d’incidents ne se reproduise plus.

ADV : Plus globalement, peut-on dire en ces termes géopolitiquement clivant que la Syrie un ennemi par nature d’Israël ?

P.R : Israël ne choisit pas ses ennemis, ce sont les pays arabes (puis l’Iran depuis Khomeiny) et la Syrie en particulier, qui n’ont jamais accepté l’existence d’Israël depuis avant même sa création. Il ne faut pas oublier qu’un nombre impressionnant de dignitaires nazis se sont réfugiés en Syrie après la deuxième guerre mondiale, parmi lesquels Aloïs Brunner, bras droit d’Adolph Eichmann,  et qu’ils y ont enflammé un antisémitisme latent d’origine religieuse, moteur du conflit permanent entre Juifs et Arabo-musulmans. Le fondateur du parti Baas, Michel Aflaq, dont l’idéologie était inspirée par le philosophe Zaki al-Arsuzi, lui-même partisan d’incorporer une forme de fascisme dans le nationalisme arabe, était un admirateur d’Hitler et, jusqu’à aujourd’hui, Mein Kampf et les Protocoles Des Sages de Sion, sont des best-seller en Syrie… Malgré ces faits peu encourageants, car ils s’inscrivent dans un contexte de racisme d’Etat, Israël serait prêt à faire la paix avec la Syrie et le Liban dans la minute, quitte à sacrifier le Golan, de la même manière qu’elle a fait la paix avec l’Egypte en rendant le Sinaï à Sadate. Mais comment mettre fin au conflit avec des gouvernements dont la seule rhétorique est la destruction de l’état hébreu ? La question donc ne se pose pas dans ce sens. Depuis sa création, Israël est un pays en guerre, non reconnu par une majorité de ses voisins et ce serait un soulagement infini pour le peuple israélien et ses gouvernements, de droite comme de gauche, que de pouvoir enfin vivre comme n’importe quel autre pays, sans avoir à consacrer plus de 7% de son PIB à sa défense (contre 2,5% par exemple pour la France). L’aide américaine ne couvre qu’une partie infime de ce budget.
Qu’un dirigeant syrien ait le courage de Sadate, et annonce qu’il est prêt à parler de paix à la Knesset, et il recevrait un accueil triomphal dans tout le pays. En revanche, quand on voit la situation actuelle, tout observateur sérieux ne peut que se féliciter du fait que le Golan soit désormais territoire israélien et vive paisiblement, quand à quelques kilomètres à peine de la frontière, les différentes factions, parmi lesquelles Al Qaïda et Daech, s’entretuent. Les premiers bénéficiaires de cette situation sont évidemment les Druzes (minorité musulmane syncrétique présente en Syrie, au Liban et en Israël ndlr) qui composent une grande proportion de la population du Golan et qui, pour rien au monde, ne voudraient se retrouver en territoire syrien.

image: http://www.atlantico.fr/sites/atlantico.fr/files/u93941/2018/09/rehov_syrie_1.jpg

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