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nterdire un spectacle, un casse-tête juridique

Interdire un spectacle, comme le prône le
gouvernement dans le cas de Dieudonné, s’avère juridiquement très complexe,
soulignent des experts.
Quelle est la jurisprudence sur l’interdiction de réunions?
Le texte fondateur est une décision rendue le 19 mai 1933 par le Conseil
d’Etat, « l’arrêt Benjamin », que cite la circulaire envoyée lundi aux préfets
par Manuel Valls.
Le maire de Nevers avait interdit une conférence que devait donner René
Benjamin, écrivain, journaliste et polémiste, contre lequel s’élevaient
notamment les syndicats d’instituteurs. Mais la plus haute juridiction
administrative de France avait estimé que les risques de troubles à l’ordre
public allégués par le maire ne justifiaient pas d’aller contre la liberté de
réunion, garantie par les lois du 30 juin 1881 et du 28 mars 1907.
En clair, « en matière d’ordre public, l’interdiction n’est possible que si
l’on ne peut y parer par d’autres moyens », souligne Jean-Bernard Auby,
directeur de la Chaire « Mutations de l’action publique et du droit public » de
Sciences Po Paris.
« Sur ce point, le juge administratif est très sourcilleux. Il contrôle la
proportionnalité des moyens par rapport à l’interdiction. Est-ce que
l’interdiction se justifie, c’est-à-dire est-ce que les autorités n’avaient
pas d’autre moyen pour prévenir le trouble à l’ordre public ? Si on déploie
des moyens de police suffisants, logiquement, le spectacle doit pouvoir se
dérouler », renchérit  Pascal Jan, professeur de droit public à Sciences Po
Bordeaux
En la matière, le trouble pourrait venir de la présence éventuelle de
contre-manifestants.

L’atteinte à la dignité humaine offre-t-elle une nouvelle voie pour
interdire les spectacles de Dieudonné ?

La circulaire de M. Valls cite un autre arrêt célèbre du Conseil d’Etat, du
27 octobre 1995, autorisant le maire de Morsang-sur-Orge a interdire des
spectacles de « lancer de nains », en invoquant une « atteinte au respect de la
dignité de la personne humaine ».
« Dans le cas du lancer de nains, l’atteinte à l’ordre public est contenue
dans le spectacle lui-même, on protège en quelque sorte l’auteur du spectacle
contre lui-même, il était au coeur du spectacle et d’ailleurs parfaitement
volontaire », souligne M. Auby.
En outre, la présence physique de la personne à qui l’on portait atteinte,
en l’occurrence le nain, sur le lieu du spectacle, était vérifiable. Avec
Dieudonné, seuls les propos tenus lors du spectacle peuvent être incriminés.
« Il faut être en mesure de dire qu’on est quasiment certain qu’il va porter
atteinte à la dignité humaine », estime-t-on au ministère de l’Intérieur. « On
n’est pas sur un dérapage ponctuel. Il le fait tout le temps, c’est le coeur
de son discours, c’est facile à établir devant le juge: on sait ce qu’il va
dire ».
Pour M. Jan, cette base « semble extrêmement fragile ». « Ce n’est pas parce
qu’on dit quelque chose dans un spectacle au jour J qu’on va le dire à J+1. On
est dans la supposition, donc on est dans du droit un peu mou, un peu faible. »

L’interdiction a-t-elle des chances d’être appliquée? Que se passera-t-il
sinon?

L’avocat de Dieudonné a déjà annoncé son intention de contester toute
interdiction devant la justice administrative. Une précédente interdiction à
Nantes en 2010 avait d’ailleurs été invalidée.
« En pratique ça va être un exercice très compliqué pour les maires et les
préfets, il faut rechercher la proportionnalité dans une affaire où des
libertés fondamentales sont en jeu, liberté d’expression, liberté de réunion.
Seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier l’interdiction. Les
choses en la matière sont très claires, la liberté est la règle,
l’interdiction l’exception », souligne Thierry Rambaud, professeur de droit
public à l’université Paris Descartes.
Pour M. Jan, « cette circulaire est très prudente, très modérée. Elle refixe
le cadre juridique et ses limites. C’est nécessaire, compte tenu de la
pression médiatique. Mais elle est très respectueuse de l’Etat de droit et des
libertés ».
La circulaire envisage d’ailleurs elle-même le cas où les spectacles
auraient lieu, rappelant aux autorités qu’elles sont alors tenues légalement
de « saisi(r) l’autorité judiciaire des propos effectivement prononcés qui
(leur) semblent pénalement répréhensibles ».

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